Virginie SOULET

PPR 2015

Processus développementaux liés à l’émergence de la néophobie alimentaire : une étude transversale séquentielle chez le jeune enfant

Projet de recherche

  • Auteur : Virginie SOULET
  • Centre de recherche : UFR Sciences Psychologiques et Sciences de l’Education, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense
  • Thème : Néophobie alimentaire

Présentation, objectifs et résultats attendus

Présentation

La néophobie alimentaire est définie comme la réticence à goûter des aliments inconnus. Elle peut être considérée comme une phase normale du développement pour deux raisons : d’un point de vue statistique dans la mesure où elle touche la grande majorité des enfants entre 2 et 10 ans, et d’un point de vue adaptatif parce qu’elle permet aux enfants de se protéger de l’empoisonnement. Avant 2 ans, la néophobie alimentaire serait rare, voire inexistante. Son apparition soudaine aux alentours de 18 / 24 mois fait l’objet d’un consensus. Cependant, les raisons de cette émergence soudaine restent totalement inexplorées. Notre recherche a pour objectif de comprendre les raisons de l’émergence de la néophobie alimentaire à 24 mois, en prenant appui sur les évolutions développementales de la fin de la deuxième année de vie. Des changements importants marquent l’entrée dans la troisième année de vie au niveau praxique, cognitif, langagier et affectif, nous permettant de formuler quatre hypothèses.

Explication

Selon nous, l’émergence de la néophobie à 24 mois peut être expliquée :
1/ sur le plan praxique : par la capacité de l’enfant à se nourrir seul qui suscite des angoisses d’incorporation ;
2/ sur le plan cognitif : par l’accès à la fonction symbolique, accompagnée d’une aptitude à la catégorisation qui permet l’identification des aliments inconnus ;
3/ sur le plan linguistique : par la capacité d’exprimer ses préférences alimentaires, consécutivement à la prise de conscience d’être une personne distincte d’autrui ;
4/ sur le plan affectif : par l’entrée en phase d’opposition qui est sous-tendue par le besoin de rejeter les propositions parentales.
Pour atteindre cet objectif, l’étude comprendra deux phases. Dans un premier temps, nous utiliserons un questionnaire portant sur l’alimentation et le développement de l’enfant. Puis les résultats issus de ce questionnaire feront l’objet d’une validation au moyen de tâches comportementales.  La néophobie alimentaire participe à la réduction de la variété du régime alimentaire de l’enfant, ainsi qu’au climat conflictuel des repas pris en institution et au domicile. Il semble essentiel de comprendre les causes de cette émergence afin de donner des réponses scientifiquement attestées aux parents et professionnels de la petite enfance qui peuvent se trouver désemparés face aux changements dans les conduites alimentaires des jeunes enfants.

Objectifs

L’objectif principal de cette recherche exploratoire est de repérer les conditions préalables à l’émergence de la néophobie à 24 mois en prenant appui sur les évolutions développementales typiques de la fin de la deuxième année de vie dans les 4 sphères praxique, cognitive, linguistique et affective.
Un objectif préalable à notre étude est de distinguer l’évolution de la néophobie qui concerne le rejet des aliments inconnus de l’évolution de la sélectivité, qui concerne quant à elle le rejet des aliments connus (Galloway, Lee & Birch, 2003). En effet, dans certaines études, des questionnaires censés mesurer la néophobie alimentaire contiennent des items de sélectivité alimentaire, et vice versa. C’est le cas, par exemple, de l’échelle de néophobie alimentaire de Pliner (1994), la « Child Food Neophobia Scale », qui contient des items tels que : « Mon enfant est très difficile concernant les aliments qu’il va manger », « Mon enfant mange de tout» (cotation inversée). Or, Galloway, Lee et Birch (2003), ainsi que Rigal, Chabanet, Issanchou, et Monnery-Patris (2012) ont montré que néophobie et sélectivité étaient deux concepts différents (tant théoriquement que comportementalement), bien que souvent confondus.

Précision

Cette confusion entre néophobie alimentaire et sélectivité alimentaire est sans doute liée à leur effet similaire sur la réduction de la variété du régime alimentaire des enfants (Falciglia, Couch, Gribble, Pabst, & Frank, 2000). Ainsi, la plupart des études ne permettent pas d’établir des conclusions sur l’évolution de néophobie alimentaire spécifiquement. Or, ce ne sont pas les mêmes processus à l’œuvre dans ces deux types de rejets. La sélectivité serait liée à l’ancrage des préférences alimentaires des jeunes enfants qui se sont établie avec l’exposition aux aliments, alors que nous ne connaissons pas les processus développementaux liés à l’émergence de la néophobie alimentaire.

Étapes

Phase 1: Exploration des hypothèses par questionnaire
Phase 2 : Validation comportementale des résultats obtenus par questionnaire
Tâches :
– Néophobie : il s’agit de faire goûter à l’enfant un aliment familier servant de condition contrôle et un aliment nouveau pouvant susciter la néophobie alimentaire. La néophobie alimentaire sera évaluée à travers une observation fermée à l’aide d’une grille d’observation préétablie qui a fait l’objet de pré-tests concluants.
– Praxie : observation des compétences instrumentales de l’enfant dans le domaine de l’auto-alimentation.
Langage : en cours d’élaboration
– Opposition : Il s’agit de repérer les comportements d’opposition face à une situation frustrante. L’opposition va être mesurée par une observation fermée à l’aide d’une grille d’observation pré-établie qui a fait l’objet de pré tests concluants.
– Cognitif : en cours d’élaboration sur la base des travaux de Brown (2010).

Bilan

Les résultats de notre étude seront transmis, sous forme de conférences et de publications, au personnel de la petite enfance, ainsi qu’aux parents souvent désorientés face aux réticences des enfants à élargir leur répertoire de consommation. En effet, une majorité des adultes amenée à gérer les repas des jeunes enfants interprète ces changements de comportements alimentaires comme des manifestations de particularités individuelles, tel qu’un rejet de l’adulte nourricier (Rubio & Rigal, soumis). Connaître les processus du développement normal impliqués dans l’émergence de la néophobie alimentaire permettrait aux parents d’abandonner les interprétations générant des sentiments de culpabilité, et ainsi de mieux gérer les changements de comportements alimentaires de leur enfant.