Pierre CHANDON

PPR 2014

Le plaisir des sens : allié ou ennemi d'une meilleure alimentation ?

Projet de recherche

  • Auteur : Pierre CHANDON
  • Centre de recherche : INSEAD, Fontainebleau
  • Thème : Comportement alimentaire

Présentation, objectifs et résultats attendus

Présentation

Dans les chaines de restauration rapide, les consommateurs ont souvent le choix entre différentes tailles de portion (boissons, accompagnement, dessert). On sait que l’offre de portions alimentaires toujours plus grandes a contribué à la diffusion de l’obésité, mais on ne sait pas trop comment lutter contre cette pratique très rentable pour la restauration. Souligner les dangers pour la santé du choix de portions trop grandes contrarie les intérêts économiques des industriels et va à l’encontre de ce qui reste l’objectif majeur des consommateurs : le plaisir. Ce projet étudie une alternative qui consiste à mettre l’accent sur le plaisir sensoriel de l’alimentation et à inciter ainsi les consommateurs à préférer des portions raisonnables par plaisir plutôt que par compromis plaisir/santé. Lorsqu’ils choisissent une taille de portion, les consommateurs se basent avant tout sur le rassasiement perçu (« aurai-je encore faim ? ») et sur la valeur perçue (« avec une grande portion, je fais une bonne affaire »).

Étude

L’idée de cette étude est de mettre en avant un phénomène mal anticipé par les consommateurs : la satiation sensorielle spécifique, qui fait que le plaisir sensoriel diminue avec la quantité consommée. Au moyen d’études expérimentales, des adultes et enfants français et américains, sont incités à prendre en compte le plaisir sensoriel dans leurs choix de portions que ce soit en laboratoire, à l’école ou en restaurant expérimental. L’imagerie sensorielle (imaginer l’odeur, le goût, et la texture des aliments) les incite à préférer de plus petites portions d’aliments hédoniques, tout en augmentant le plaisir anticipé et donc leur consentement à payer pour ces petites portions. En effet, l’imagerie sensorielle permet de simuler mentalement le plaisir des sens, ce qui aide les consommateurs à réaliser que la quantité diminue le plaisir et que les petites portions sont optimales. D’un point de vue pratique, un entrainement à l’imagerie sensorielle – au moyen d’une intervention courte, et ludique – peut inciter des enfants de cinq ans à choisir de plus petites portions à la cantine ou à la maison. Pour les adultes, une intervention qui consiste à mettre en avant les aspects sensoriels dans les menus des restaurants semble efficace. Au total, cette recherche montre que le plaisir sensoriel peut devenir l’allié d’une alimentation saine et être aussi efficace que les exhortations sanitaires mais sans nuire au plaisir de manger. Un triple gain pour la santé, le plaisir de manger, et l’intérêt économique de la filière agro-alimentaire.

Objectif

Objectifs théoriques :
– Démontrer que ce n’est pas en inhibant ou en niant le plaisir sensoriel (Giuliani et al. 2013), mais au contraire en activant consciemment le plaisir sensoriel que les consommateurs peuvent préférer des portions alimentaires plus raisonnables.
– Démontrer que l’imagerie sensorielle permet d’améliorer la qualité des attentes de plaisir et de les rendre plus proches de la réalité de l’expérience sensorielle, comme cela a été suggéré, mais pas encore testé, par Barsalou (2008), Krishna & Schwartz (2014) et Moulton & Kosslyn (2009).
Objectifs pratiques :
– Développer une intervention d’imagerie sensorielle hédonique qui augmente l’attrait des petites portions et qui soit applicable pour les enfants dans les restaurants scolaires ou à la maison.
– Démontrer l’intérêt économique de l’imagerie sensorielle hédonique pour les restaurants qui leur permet de conserver leur chiffre d’affaire et de faire la transition entre leur modèle économique actuel (basé sur le prix et le volume) et un modèle durable basé sur la qualité et le plaisir sensoriel.

Étapes

Études Complétées : Études en ligne, en laboratoire et dans une classe d’école maternelle
– Étude auprès de 42 enfants français (4-5 ans) à l’école maternelle de Lannoy (59).
– Étude auprès de 350 jeunes femmes parisiennes (âge moyen : 21 ans) au laboratoire de sciences sociales de l’INSEAD, Paris.
– Deux études auprès de 300 Américains (âge moyen : 34 ans) sur la plate-forme d’études en ligne Amazon Mechanical Turk.
Études Planifiées : Restaurant expérimental et cantine scolaire
– Fin 2014 : Étude au Restaurant Expérimental de l’Institut Paul Bocuse à Ecully (69). Les responsables de ce restaurant ont déjà été contactés pour discuter de la faisabilité du projet (y compris pour les mesures par vidéo).
– Fin 2014/Début 2015 : Étude au restaurant scolaire de l’École Maternelle de Lannoy (59). L’objectif est de répliquer les résultats auprès d’enfants de 4 à 6 ans et de mesurer les effets sur la consommation réelle à la cantine sur plusieurs jours.

Bilan

De « l’alimentation-santé » à l’alimentation « bien-être ». Les modèles normatifs de choix alimentaire (plaisir contre santé) ont contribué à créer des comportements paradoxaux alliant surconsommation et choix d’aliments « bons pour la santé » (Wansink & Chandon 2014, Block et al. 2011). Cette recherche montre qu’il est temps d’avoir une vision plus positive et holistique du rôle du plaisir dans l’alimentation.
Changer les habitudes alimentaires des enfants. Il est crucial d’habituer les enfants à se satisfaire de portions raisonnables d’aliments-plaisir (gâteaux, frites, etc.). Les approches traditionnelles consistent à souligner l’impact de la surconsommation sur la santé. Cependant, la santé n’est pas un argument majeur pour les jeunes consommateurs et peut même s’avérer contre-productif (il y a un «coût hédonique » à sacrifier le plaisir pour la santé). Une intervention simple et ludique « d’imagerie sensorielle » pourrait aider à forger les préférences très tôt dans la socialisation des individus avec les aliments.
Une croissance « durable » de l’industrie alimentaire. Se focaliser sur le plaisir sensoriel peut non seulement amener à choisir des portions plus petites (qui s’avèrent en réalité les plus plaisantes), mais également augmenter le consentement à payer pour ces petites portions. C’est un argument de poids pour inciter les industriels –notamment ceux de la restauration rapide- à privilégier la qualité de l’expérience alimentaire plutôt que la quantité au moindre coût.